Carte Blanche : Femmes et politique, comment briser le plafond de verre ?

Pour aller plus loin dans l’égale participation des femmes et des hommes à la vie politique, sans doute les partis et mouvements politiques devront-ils dépasser le « gender washing » : tel est le constat des Femmes et du Centre d’études des Engagé·e·s, au terme d’une grande enquête en ligne ainsi que d’une table ronde organisée dans le cadre des Rencontres engagées.

Ces dernières années, un nombre significatif de femmes, connues et moins connues, ont annoncé leur retrait de la vie politique. Il n’y a par ailleurs actuellement plus aucune femme présidente de parti en Belgique. Alors que diverses mesures, telles que les quotas ou la tirette, devraient permettre de tendre vers une représentation accrue des femmes en politique, ce constat interpelle.

En réalité, malgré un nombre croissant d’obligations légales visant une meilleure parité, la progression des femmes en politique reste lente, trop lente ! Ne nous laissons pas duper par les photos officielles des Gouvernements qui donnent l’impression que les femmes ont désormais toute leur place dans les institutions de notre pays ! Le Gouvernement fédéral est désormais paritaire. Mais depuis le départ de Sophie Wilmès, le comité ministériel restreint (le vrai organe décisionnel du Gouvernement) ne compte plus qu’une seule femme, Petra De Sutter. Il en va de même pour les postes clés des Gouvernements et Parlements régionaux. Aucune Ministre-Présidente ! Aucune Présidente des trois principales assemblées parlementaires élues par les Wallons et les Bruxellois. Une seule femme parmi les cinq postes ministériels stratégiques du Gouvernement wallon. Une Ministre sur cinq à Bruxelles !

La politologue Sophie Van Der Dussen, qui avait réalisé un dossier du CRISP sur cet enjeu en 2016 confirme l’inertie du système politique :  à la Chambre, les élues ont atteint 41,3%, lors des dernières élections en 2019, pour 39,3 % en 2010. Au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, elles sont 37,2 %, soit autant qu’en 2010. La situation des femmes n’a en réalité pas beaucoup évolué. Elle est de plus marquée par le départ successif de diverses personnalités politiques.

Comment expliquer ces observations ?  Existerait-il encore aujourd’hui des obstacles et des freins à l’engagement politique des femmes ? Que mettre en place pour attirer et mobiliser davantage les femmes et leur permettre de se maintenir plus longtemps dans des fonctions politiques ?

Pour répondre à ces questions, nous avons mené une enquête en ligne auprès de 800 personnes dont les résultats ont pu être discuté dans le cadre d’une table ronde.

47,82% des personnes ayant répondu sont d’avis que les mesures visant à renforcer l’égalité en politique ont eu un impact sur la carrière des femmes politiques. 34,58% sont mitigés face à cette affirmation. Selon notre échantillon, si le bilan n’est pas mauvais en soi, il pourrait être bien meilleur !

Mais alors, quels sont les principaux obstacles à l’engagement des femmes ?

Les tâches ménagères et le manque de soutien du conjoint n’ont été évoqués que par 25,63% et 18,95% des personnes comme difficultés pour faire de la politique. Les devoirs liés à la famille (77,4%) constituent en fait le premier frein à une carrière politique cité par les personnes ayant participé à notre enquête. Les femmes se retrouveraient devant un vrai dilemme lorsque l’engagement dans la vie politique implique un certain retrait vis-à-vis de la vie familiale et de ses obligations (éducation et temps accordé aux enfants, aide auprès des parents en perte d’autonomie, couple…). Pour beaucoup de femmes, la famille reste la priorité des priorités et le mode de fonctionnement du monde politique n’est pas adapté à cette réalité.

La manière dont les femmes sont traitées durant leur carrière politique constitue un second frein important à leur engagement. Trois femmes sur quatre considèrent qu’elles ne sont pas respectées au même titre que les hommes lorsqu’elles se retrouvent dans l’arène politique. Elles pointent les remarques, insultes et blagues sexistes ou jugements rapides en cas d’erreur. Les hommes n’ont pas encore tous pris conscience de l’ampleur et de la gravité du problème : seule la moitié d’entre eux y voient un obstacle à une carrière politique pour les femmes.

Il est également ressorti de l’enquête que ce qui pousse les femmes à s’engager en politique est l’envie de changer la société (83 %) et d’exercer une réelle influence sur les changements sociétaux (75 %), bien avant la lutte contre les discriminations et la lutte pour plus d’égalité (59 %). Les femmes fuiraient-elles dès lors la politique parce que notre système ne répond pas assez à leur désir de faire bouger les choses plus concrètement ?

Ces résultats sont sans doute à mettre en regard avec ceux obtenus par l’ONG Plan International, qui diffusait voici quelques jours une enquête sur l’engagement des filles : seules 14 % des jeunes filles belges (15-24 ans) se disaient alors suffisamment sûres d’elles pour se présenter aux élections, un score nettement inférieur à la moyenne mondiale (28 %). Une fille belge sur deux avoue ne se sentir ni entendue ni comprise par le politique.

Comment inverser la tendance ? Comment briser le plafond de verre : barrière symbolique, mais effective, qui empêche les femmes d’atteindre le sommet de la hiérarchie au sein de leur domaine professionnel ? Le facteur explicatif le plus important, pour Sophie Van Der Dussen, c’est le choix des partis pour les places éligibles. On constate que là où les partis ont le choix (c’est-à-dire la première et la dernière place sur les listes électorales), dans près de 8 cas sur 10, les hommes sont privilégiés.

Pourquoi les partis rechignent à mettre des femmes à ces places-là ? Une explication possible, recueillie par Sophie Van Der Dussen, est le fait que les femmes ont une moindre expérience, un moindre ancrage local, en comparaison aux hommes. Mais si on ne leur permet pas d’être élues, forcément elles continueront à pâtir de leur manque d’expérience et d’ancrage. On est donc face à un cercle vicieux et les mouvements politiques et les partis ont un vrai rôle à jouer.

Pour conclure, si nous voulons encourager les femmes à faire de la politique, il faut changer les mentalités, atteindre la parité (y compris dans les structures internes aux mouvements politiques et partis), soutenir les femmes dans leurs responsabilités familiales et lutter contre le sexisme dans l’arène politique. Pour ce dernier point, nous envisageons, par exemple, d’organiser en début de législature une formation obligatoire pour toutes les personnes élues visant à les sensibiliser sur l’enjeu, mais aussi à faire le point avec eux sur leurs pratiques et à identifier des points d’amélioration. Ensuite, nous proposons qu’il y ait des personnes de confiance au sein de chaque assemblée parlementaire qui seraient sollicitées par les élues subissant des discriminations, harcèlements ou tout autre comportement sexiste.

Au niveau des mouvements politiques et des partis, nous voulons diminuer la charge mentale familiale qui repose encore trop sur les épaules des femmes, proposer des formations, sensibiliser au sexisme et aux différentes formes de discrimination, mettre en place des services indépendants, une procédure de plaintes en cas d’harcèlement, d’intimidations ou de comportements sexistes, etc. Bref, opter pour une véritable politique « women friendly » qui dépasse le « gender washing ». Il ne faut pas attendre l’adoption de nouvelles législations favorables à l’égalité pour changer la donne ! Les formations politiques doivent montrer la voie dans leur fonctionnement interne et s’engager à la plus grande exemplarité.

Dans ses nouveaux statuts, le Mouvement Les Engagé·e·s prévoit, entre autres, d’embaucher un·e référent·e égalité dont la mission est d’établir un diagnostic et d’implémenter un plan stratégique portant notamment sur la formation de l’équipe et de désigner une personne de confiance dans chaque fédération provinciale et à Bruxelles. Mais il faut aller encore plus loin et raisonner au-delà d’un parti ! A l’image de la charte du candidat politique lancé par le collectif E-Change, nous lançons aujourd’hui un processus participatif ouvert à toutes les sensibilités politiques, visant à rédiger une charte de respect des genres que nous ferons signer au maximum de candidat·e·s aux élections législatives et communales de 2024 !

Dorothée Klein, présidente des Femmes Engagées

Stéphanie Lange, conseillère au CEPESS

Gladys Kazadi, Vice-Présidente, députée bruxelloise et échevine Les Engagé·e·s

Christophe de Beukelaer, député bruxellois Les Engagé·e·s

Jean-Louis Hanff, conseiller au CEPESS

Jeremy Dagnies, directeur scientifique du CEPESS