Portrait de femmes : Véronique Léonard

Découvrez le troisième épisode de notre série « Portraits de femmes : Pour les femmes ayant un mandat politique ». Nous continuons cette série avec Véronique Léonard, actuellement bourgmestre de Gouvy. Des propos recueillis par Laetitia Kizizie – De Boeck.

Présentation

Véronique Léonard , bourgmestre de la commune de Gouvy, mariée et maman de 3 enfants toujours à la maison (26, 23 et 18 ans).

Profil
  • Agrégée de l’enseignement secondaire inférieur : mathématique-physique en juin 1995.
  • Enseignante dans diverses matières (mathématique, sciences, informatique) dans l’enseignement de promotion sociale et dans le secondaire inférieur ainsi qu’en 4ème secondaire. (1998-2015)
  • Secrétaire politique – Organisation de réunions, rédaction des comptes-rendus, tenue des comptes en banque, gestion des demandes de membres, rédaction de courriers, suivi des dossiers de cotisations des administrateurs, organisation d’évènements, … (depuis 2015)

Avant d’être Bourgmestre, j’ai toujours été membre des comités de villages là où j’habitais. Ce n’est plus le cas actuellement. Je suis également active depuis très longtemps dans l’animation pastorale de quelques villages de la commune de Gouvy et je fais partie de 3 chorales paroissiales.

Motivation

L’origine de mon entrée en politique relève principalement de l’instauration des quotas et de la fin de carrière politique de mon Papa :

  • 2000 : j’ai pris la relève de Papa sur la liste PSC aux élections provinciales – mon frère a pris sa relève au niveau communal ;
  • 2006 : j’ai renouvelé mon engagement sur la liste à la province et j’ai répondu positivement à la sollicitation de mon frère pour participer aux élections communales avec comme objectif de répondre aux obligations de mixité.
    • J’ai cependant été élues dans les 2 instances, en tant qu’échevine à la Commune et conseillère à la Province. Ce qui n’était pas du tout attendu.

Je n’avais jamais participé à un conseil communal, je ne m’étais jamais vraiment intéressée au fonctionnement d’une Commune et encore moins d’une Province et j’avais 3 jeunes enfants (9 ans, 6 ans et 1 an) et une gestion familiale qui reposait presqu’entièrement sur mes épaules. Mais après en avoir longuement discuté avec mon mari, nous avons décidé que j’allais accepter les mandats qui m’étaient confiés.

Mon travail en tant qu’échevine a été une révélation. J’ai aimé relever le défi, découvrir des matières diversifiées et plus ou moins complexes en fonction des compétences qui m’avaient été attribuées (essentiellement des compétences sociales). J’ai aussi été amenée à travailler avec des publics diversifiés et beaucoup plus avec des adultes alors que dans l’enseignement, je travaillais avec des jeunes ados (12-15 ans).

Le travail de bourgmestre en assez différent. J’ai moins le temps d’initier des projets, de les porter. Je fais plus de l’accompagnement des échevins dans leurs projets, je dois participer à de nombreuses réunions destinées aux bourgmestres mais j’adore toujours ce que je fais.

Contribution

Je n’aime pas trop généraliser car homme ou femme, nous avons chacun nos préférences, nos compétences. Je vais donc m’exprimer plutôt en termes de ressentis.

Pour l’avoir entendu exprimer de la part d’un homme politicien, je peux me permettre de dire qu’une femme va, en général, plus préparer ses dossiers, ses interventions, vérifier plus le suivi administratif. Je pense que nous allons plus en profondeur dans notre analyse, que nous consacrons un temps plus important à nos dossiers. Pour ma part, il s’agit d’une volonté de savoir de quoi je parle mais également de bien faire les choses.

Je pense aussi que la posture des femmes est différente par rapport à la gestion du pouvoir. C’est lors d’une soirée consacrée à la thématique « La femme en politique » début de ce mois d’octobre qu’on me l’a fait remarquer. En effet, j’ai présenté mon travail au sein du collège comme ayant un rôle d’accompagnatrice des échevins qui, lors du début de la mandature, était tous de nouveaux mandataires. Je suis là en soutien pour les aider à mener leurs projets à bien, pour aider à la décision s’ils le souhaitent. Certains hommes politiques d’expérience auraient probablement plus tendance à se positionner comme détenteur de l’unique solution, de la bonne marche à suivre, donnant plus la directive du « comment il faut faire ». C’est en tout cas l’avis du médiateur présent dans le groupe de travail ce jour-là.

Ce qui est riche au niveau de l’apport d’une femme en politique, c’est la complémentarité que nous pouvons avoir avec la façon de penser et de faire d’un homme. Le seul piège dans lequel il ne faut pas tomber pour nous, les femmes, c’est d’accepter inconsciemment le rôle de venir en complément. Chaque genre doit apporter son expérience, sa compétence à la démarche et l’ensemble doit former un tout. La femme ne peut pas se contenter de venir compléter ce que l’homme pense, ce dernier doit aussi être à l’écoute et peut-être adapter certaines de ses positions pour atteindre un équilibre.

Mandat

J’ai fait partie de 2 exécutifs avec des personnes et des fonctionnements très différents au niveau du collège. Dans le 1er collège, on travaillait de façon beaucoup plus individuelle, un peu chacun pour soi. Dans le collège actuel, nous sommes devenus une vraie bande d’amis. On échange beaucoup, on travaille sur les projets en binôme ou trinôme, on rit beaucoup aussi. Entre nous, il y a une transparence presque totale, beaucoup de sincérité.

Aujourd’hui, j’exerce mon mandat de Bourgmestre dans la commune de Gouvy. Il s’agit d’une commune rurale de la province de Luxembourg. Elle est composée de 23 villages et compte 5.404 habitants au 1er janvier 2023.

Nous avons une majorité absolue avec 10 conseillers sur 17. Le collège est composé de 4 échevins (2 hommes et 2 femmes), le Président de CPAS et moi-même.

Mon travail est très diversifié. Je touche à toutes les matières que peut traiter une commune, par quelques dossiers que je suis personnellement mais surtout par le suivi des dossiers en accompagnement des échevins de mon équipe. Mon quotidien est ponctué de nombreuses réunions avec le personnel, avec des partenaires extérieurs, avec les auteurs de projets, … Je passe également beaucoup de temps à la gestion de nombreux mails qui me parviennent. Ce travail occupe régulièrement mes soirées, parfois partie de nuits et mes week-ends.

Exigences du mandat

Un mandat exige un investissement important au niveau du temps. Et notre volonté de toujours faire les choses à fond en tant que femme augmente encore cette difficulté de gestion du temps. Personnellement, je sais que je ne saurais jamais me consacrer à mon mandat comme je le fais si je n’avais pas le soutien de mon mari et de mes enfants, même si ces derniers me reprochent de temps en temps mon manque de présence. Comme je suis cependant restée la référente affective, la confidente, cela me permet d’avoir une très bonne relation avec eux, surtout avec les 2 filles.

Le manque de confiance en soi est souvent un frein à l’engagement. Je suis très satisfaite du chemin parcouru mais je n’aurais jamais imaginé être capable de gérer autant de matières, de me retrouver « à la tête » de la Commune si on me l’avait demandé quand j’ai commencé à m’engager. Le début de mon engagement relève d’un concours de circonstances et de résultats d’élections que je n’avais jamais imaginés. Je pense que je n’aurais jamais osé m’engager si j’avais su ce qui m’attendait à l’issue de ma deuxième campagne. Par contre, lors des dernières élections, rassurée par l’expérience de 12 années précédentes, j’ai osé me lancer et prendre la tête d’une liste. Et tout s’est bien passé. Alors mon conseil c’est : « Ayez confiance, n’attendez pas et osez vous engager ! Vous avez une multitude de compétences à partager et aussi à développer ! ».

Les qualités, nous les avons en nous. Nous devons juste en prendre conscience et avoir confiance en nous.

Challenges

Dans certaines matières, il est plus difficile de faire reconnaître ses compétences en tant que femme. J’ai été amenée par le passé à suivre des travaux dans le cadre de 2 extensions d’école et aujourd’hui, dans un dossier de construction d’un hall sportif. Le secteur de la construction est principalement masculin. A chaque dossier, il a fallu un certain temps avant qu’on ne m’accorde du crédit.

Pour l’ensemble des communes de la province, nous sommes 8 femmes sur 44. Nous avons assez régulièrement des réunions entre Bourgmestres et dans ces assemblées, je me sens moins à l’aise pour prendre la parole. Je crois que j’ai peur du jugement. Pourtant, je n’ai été confrontée qu’une seule fois à une situation où je me suis sentie jugée.

La gestion des critiques fait partie des défis. Je parle ici des critiques non constructives, des rouspétances sans discussion et bien souvent lancées en dehors de ma présence, notamment sur les réseaux. Il faut être conscient qu’on ne peut plaire à tout le monde et que du coup, on sera la cible des râleurs, des mécontents. Les réseaux sociaux sont évidemment le lieu le plus fréquent de ces attaques. Parfois, il est plus facile de faire fi de celles-ci. Pour moi, ça dépend en général de mon état de fatigue, de mon équilibre psychologique et de l’origine de la critique. Si je suis dans une phase positive et en pleine forme, je vais plus facilement accuser les coups et ne pas les laisser m’affecter. De même, si c’est un citoyen lambda qui émet des critiques, je les accepterai plus facilement. Par contre, si c’est une personne proche de moi, je le vis plus difficilement.

Enfin, mon engagement a impliqué une modification conséquente de notre fonctionnement familial. D’une épouse et maman très présente, presque toujours là le soir, présente pendant les congés scolaires car j’étais enseignante, je me suis transformée en maman très active, souvent absente, devant conjuguer entre toutes mes fonctions : épouse, maman, enseignante, échevine et conseillère. Mon mari, de son côté, a dû prendre une place plus importante dans l’organisation familiale ; repas, gestion des enfants, de la maison. Ce renversement de rôle est encore plus important depuis que je suis bourgmestre même si, au niveau des enfants, je reste la référente affective pour les confidences, les problèmes, l’organisation, les chagrins d’amour 😉…

Je suis consciente que je suis très peu présente au niveau familial et que c’est mon mari qui en est le plus impacté. Mais nous en parlons régulièrement, on essaye de s’octroyer des petits moments privilégiés en famille mais aussi en duo ou trio.

Dans mon engagement qui m’apporte beaucoup de satisfaction, de plaisir, c’est la chose que je vie le plus difficilement, ce sacrifice de ma présence au sein de ma famille.

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Conciliation

Personnellement, j’ai fait le choix de limiter très fortement le volet représentation dans mon mandat. En plus du temps que je consacre à la préparation des dossiers, aux mails et au collège, si je devais participer aux organisations des comités de la commune, ma vie familiale serait réduite à zéro. Je cible donc les activités plus « spéciales » : inauguration, anniversaire du comité, évènements spéciaux… Mais je ne participe pas aux kermesses et soupers annuels, aux organisations qui reviennent tous les ans.

Ce qui me permet de me consacrer à mon mandat, c’est l’investissement que mon mari a pris dans la gestion familiale. Sans lui, je sais que je ne saurais jamais me consacrer à mon mandat comme je le fais.

Bonus

Personnellement, les retours positifs sur mon travail et la façon de le faire sont très valorisant. Evidemment, on ne peut plaire à tout le monde et je subis également des critiques mais elles sont largement compensées par le positif.

Les échevins et les membres de mon groupe politique me donnent souvent des retours positifs sur mes compétences, ma capacité à gérer les dossiers, mon organisation. Lors d’une exposition ayant pour thème « La voix des femmes », la jeune échevine de mon collège communal a été sélectionnée pour témoigner en tant que femme inspirante. Dans son témoigne, elle écrit ceci : « Mes inspirations… Véronique, bourgmestre de ma commune, fait partie des personnes qui m’inspirent, pour son audace, son esprit d’analyse et de synthèse. Elle est très orientée résultats, il faut que ça avance. Elle a aussi une mémoire. Je me demande comment c’est possible de tout connaitre comme ça. Elle a cette capacité d’écoute qui est vraiment hyper important chez elle. » Comment ne pas être portée par un retour pareil.

De nombreux citoyens me donnent également des retours positifs. Cela s’est traduit pas ma progression au niveau du nombre de voix lors des 3 élections communales (515 – 769 – 1.224). Je ne vais pas pouvoir continuer à progresser de la sorte mais j’espère qu’autant de personnes m’accorderont encore leur confiance en 2024.